POURQUOI LA PREMIÈRE CROISADE ?

Source : Kingdom of Heaven, Ridley Scott, 2005.
Entre les royaumes occidentaux et Jérusalem se trouve l’empire de Constantinople, c’est-à-dire l’Empire romain d’Orient, continuité de l’ancien Empire romain. (Notez que ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’on l’appelle « empire byzantin »). Au moment de la première croisade, l’Occident chrétien s’est éloigné de Constantinople. La distance est politique (l’Occident est divisé en une multitude des royaumes alors que l’Empire romain subsiste à Constantinople), économique (société rurale en Occident et citadine en Orient) mais aussi linguistique (le latin à l’ouest, contre le grec dans l’empire). Côté religieux, pour les Chrétien du XIe siècle, le “schisme de 1054”, issu d’une querelle théologique, n’a pas l’importance qu’on lui a donné par la suite, mais il témoigne toutefois de l’incompréhension grandissante entre les deux univers.

À l’époque de la première croisade, l’Empire romain d’Orient est menacé de toute part : par les Turcs seldjoukides à l’est, par les Normands à l’ouest, par les Petchénègues au nord. Au sud, l’Empire a conclu des traités avec la Califat fatimide d’Egypte. Ils se partagent alors la Syrie (pour l’Empire) et la Palestine (pour le Califat). Mais les Turcs prennent possession de la région au début des années 1070, et enlèvent Jérusalem en 1073 des mains des arabes qui y résidaient depuis quatre siècles. Leur présence dans la région entrave la route du pèlerinage à Jérusalem et ils sont accusés de malmener les pèlerins chrétiens.
Dans l’espoir de recruter de nouveaux mercenaires contre les Turcs seldjoukides, l’empereur byzantin Alexis Ier fait appel au pape pour venir lui prêter main forte. En répondant à son appel, le pape Urbain II cherche à se rapprocher de Constantinople. Dans les faits, la première croisade ne rapproche en rien les Chrétientés d’Orient et d’Occident. Au contraire, les tensions entre Rome et Byzance ne cessent de s’accroître après 1099. S’ensuit un long siècle de malentendus et d’oppositions à la fois géopolitiques, économiques et religieuses. En 1182, des Latins sont massacrés à Constantinople. Puis en 1204, la VIe croisade est détournée et s’en prend à la capitale impériale.
D’ailleurs, la croisade n’est pas un simple affrontement entre chrétiens et musulmans. D’ailleurs, la catégorie “musulman” n’est pas synonyme d’ “arabe” et masque la diversité ethnique et politique de l’époque. Le Dar al-Islam (nom arabe des terres où s’étendent les pouvoirs se réclamant du Prophète) n’est pas uni. Il se divise notamment entre sunnites et chiites, eux-mêmes divisés en plusieurs courants farouchement rivaux (qarmates, druzes, nizârites, etc.). Cette scission religieuse joue un rôle politique central entre les différents pouvoirs locaux.

Par ailleurs, l’ “Orient” n’est pas seulement peuplée de populations arabes ou musulmanes. On y trouve des Kurdes, des Arméniens, des Syriaques, etc. Aussi quelques communautés juives qui subiront la violence et les pillages des pèlerins, quelques Samaritains et des Zoroastriens. Mais surtout de très nombreux chrétiens d’Orient, encore largement majoritaires dans cet espace, qui appartiennent à des communautés distinctes. On trouve des Maronites, des Coptes, des Chalcédoniens, des Nestoriens et des Orthodoxes.
Pourtant, la violence armée fut longtemps un péché pour le christianisme. Depuis le milieu du XIe siècle, l’attitude de l’Eglise catholique quant à la violence évolue peu à peu : à partir de l’idée de “guerre juste”, héritée de saint Augustin, les penseurs du temps forgent progressivement l’idée de “guerre sainte”. Le pèlerinage armé lancé par le pape en 1095 – qui ne prendra que plus tard le nom de “croisade” – marque un tournant puisqu’il y est maintenant juste d’y prendre les armes. Le pape promet même aux pèlerins atteignant Jérusalem l’indulgence plénière. Quant à ceux qui y trouveront la mort, ils remporteront la couronne du martyre, et donc l’accès direct au paradis. Visant d’abord la noblesse guerrière, cet appel connaît un écho puissant parmi les gens du peuple, mobilisant femmes et enfants autant que les hommes.

La conquête terrestre de Jérusalem avait un sens spirituel fort, sans qu’on arrive à déterminer le rôle exact que cela a pu jouer dans les motivations des pèlerins. Les Écritures promettaient qu’une fois la Jérusalem terrestre prise, adviendrait le Retour du Christ et la Fin des Temps.
Beaucoup de volontaires ne sont pas des guerriers. Plusieurs prédicateurs, dont le célèbre Pierre L’Ermite, diffusent l’appel du pape. Poussés par une réelle ferveur religieuse, des milliers de fidèles se mettent en marche, plus ou moins encadrés par des seigneurs. Sur le chemin qui mène à Jérusalem, certains de ces groupes persécutent les populations juives, perçues comme des ennemies du Christ. Parmi ces pèlerins, seul un petit nombre arrive à Jérusalem. La plupart sont décimés par la faim, la sécheresse ou les armées turques.

Viennent ensuite les grands seigneurs et leurs armées, aux motivations multiples et variés. Ferveur religieuse, appât du gain ou ambition politique ? Vraisemblablement, un fin mélange de tout ça. Au-delà de bénéfices spirituels non négligeables – le pardon de tous leurs péchés – certains rêvent de mettre la main sur les richesses fantasmées de l’ “Orient” ou encore de conquérir, dans ces régions mystérieuses, des royaumes nouveaux. Mais le voyage coûte cher. Les chevaliers vendent généralement une grande partie de leurs biens pour financer l’expédition.
Le nombre total de “croisés” est difficile à déterminer. On estime qu’entre l’appel du pape en 1095 et la prise de Jérusalem en 1099, cent mille personnes ont pris part à cette expédition.

Toutefois plusieurs d’entre eux s’installent. Sans qu’on puisse affirmer si cela a été prémédité ou le fruit d’un opportunisme, la première croisade aboutit ainsi à la création des États latins d’Orient. le comté d’Édesse, la principauté d’Antioche, le royaume de Jérusalem et le comté de Tripoli. Apportant avec eux leurs propres modèles d’organisation sociale, les nouveaux arrivants introduisent la féodalité et établissent des liens avec les seigneurs locaux. Malgré les croisades qui se succèdent dans les siècles qui suivent, le peuplement de Latins sur la côte du Levant demeure faible à cette époque.

S’il y a effectivement eu de nombreuses batailles, la période des croisades est aussi marquée par de multiples alliances politiques entre les peuples, des relations commerciales et des échanges de savoirs et d’idées fondateurs pour les sciences et la philosophie occidentales. Par exemple, vers 1120, Adélard de Bath, à son retour du Moyen-Orient, traduit depuis l’arabe vers le Latin les Éléments du grec Euclide, travaux déterminants pour le développement des mathématiques et de la géométrie en Europe.
- Anonyme Normand, Histoire anonyme de la première croisade, trad. fr. Louis Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 2007.
- Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana (Dieu le veut !), trad. fr. F. Guizot, Paris, Cosmopole, 2009.
- Francesco Gabrieli, Chroniques arabes des Croisades, Arles, Sindbad-Actes Sud, 2014.
- Florian Besson et Simon Hasdenteufel, “Eric Zemmour et les croisades : fact-checking”, Actuel Moyen Âge, 27/09/2018 ; URL : https://actuelmoyenage.wordpress.com/2018/09/27/eric-zemmour-et-les-croisades-fact-checking/
- Marcus Bull & Damien Kempf, « L’histoire toute crue : la Première Croisade au miroir de son Histoire », Médiévales [En ligne], 58 | printemps 2010, mis en ligne le 20 septembre 2012, consulté le 03 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/medievales/6017 ; DOI : 10.4000/medievales.6017
- Dossier “La croisade, une colonisation comme les autres ?”, magazine L’Histoire, n° 453, mai 2017.
- Pierre Aubé, Jérusalem 1099, Arles, Actes Sud, 1999.
- Michel Balard, Croisades et Orient latin, Armand Colin.
- Jean Flori, La Guerre sainte : la formation de l’idée de croisade dans l’Occident chrétien, Paris, Aubier, 2001
- Jean Flori, Bohémond d’Antioche, chevalier d’aventure, Paris, Payot & Rivages, 2007
- Jean Flori, Chroniqueurs et propagandistes. Introduction critique aux sources de la première croisade, Genève, Droz, 2010.
- Armelle Leclerq, Portraits croisés : l’image des Francs et des Musulmans dans les textes sur la première croisade : chroniques latines et arabes, chansons de geste françaises des XIIe et XIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 2010.
- Cécile Morrisson, Les croisades, Que-sais je ?
- Jonathan Riley-Smith, Atlas des croisades, Paris, Autrement, 1996.
- Christopher Riley-Smith & Jonathan Simon (éd.), The Oxford Illustrated History of the Crusades, Oxford, Oxford University Press, 2001.
- Podcasts :
- La Fabrique de l’Histoire, “Orient-Occident 2/3 – Partir en croisade, le guide du chevalier”, 02/06/2015.
- Fréquence Médiévale, “Les croisades“, 11/06/2019.
- Passion médiéviste,
- épisode 11 : “Florian et les états latins d’Orient“, 04/02/2018.
- épisode 25 : “Valentin et l’espionnage pendant les croisades“, 10/03/2019.
- Chaines Youtube :
- chaine d’Herodot’com sur la première croisade.
- vidéo humoristique de Confessions d’histoire sur la première croisade et pour continuer l’histoire, celle sur la troisième croisade.
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Écoutez les chroniques écrites lors de la première croisade mises en voix, en ambiance et en musique.

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
La chronologie de la première croisade vous donnera des repères pour comprendre comment s’est déroulé cet épisode de l’histoire
UN ŒIL SUR LA CROISADE
Quelques vidéos pour aller plus loin sur la première croisade…